Nicolas d’Hueppe est CEO d’Alchimie, une solution de distribution et de génération de contenus pour les acteurs de la production audiovisuelle. Fondée en 2016, la société connaît une croissance formidable, emploie aujourd’hui plus de 135 collaborateurs et est entrée en bourse en novembre 2020. Dans un contexte où la performance et la collaboration dans une organisation de travail hybride est devenue complexe, Nicolas d’Hueppe a décidé d’utiliser notre plateforme map & match.
Auteur du livre “Votre énergie est inépuisable”, il nous livre aujourd’hui ses conseils pour redonner du sens dans une période chamboulée par l’arrivée d’une nouvelle approche et d’un nouveau mode d’organisation du travail.
Aujourd’hui, donner du sens au travail est un enjeu majeur pour les entreprises. Pour vous, qu’est ce que donner du sens à ses équipes ?
La question pose ici le rôle sociétal d’une entreprise car elle doit avoir une action sur le corpus sociétal et le nôtre. Je dirais que la société de production – société uniquement tournée vers le profit et les chiffres – qui vise la performance pour la performance a perdu de son sens. Maintenant au-delà de l’excellence du geste, de la qualité des produits, il faut que ces produits aient un impact sur la société donc la meilleure façon d’avoir du sens au travail et de donner du sens à ses équipes, c’est de faire en sorte que la mission de l’entreprise ait du sens.
C’est d’autant plus important avec les jeunes générations car donner du sens au travail ce n’est plus comme dans les années 90 et 2000, il ne suffit plus de décréter de jolis mots, il faut des preuves au quotidien, des actions mises en place pour créer une culture d’entreprise qui a du sens. On ne peut plus mentir juste avec des mots comme « inclusion », « partage » etc. On ne peut plus décréter une certaine culture d’entreprise, il faut la faire vivre. Donner du sens au travail ça ne se décrète pas, ça se vit.
Est ce que vous sentez que les aspirations des collaborateurs ont vraiment changé avec le Covid ?
Je pense qu’il y a eu la période du Covid et puis il y aura un après Covid. Cette période a été un exercice difficile, pour le collectif d’abord puisqu’on a tous vécu la même chose et puis individuelle car elle a créé des pressions du fait d’être socialement réduits au néant malgré les réseaux sociaux etc.
Cette période a été assez paradoxale parce que d’un côté les gens étaient très engagés, ils ont beaucoup travaillé, souvent pour compenser des solitudes, des mal êtres donc pas forcément pour les bonnes raisons, pas forcément pour chercher du sens au travail. Et puis cet engagement est limité dans le temps parce que quand vous n’avez pas la possibilité de vous recharger, au bout d’un moment vous finissez extrêmement fatigué donc on a vu aussi pas mal de cas de burn-out, de gens qui sont sortis exténués de cette période.
Aujourd’hui dans l’après Covid, on voit bien que par rapport à l’organisation de la société (la société en général) qu’on est en train de vivre, il y a pleins d’expériences grandeur nature qui ont été lancées : le télétravail, l’expatriation (par rapport à Paris j’entends) pour vivre sur une ligne de TGV à une 1h/2h, des nouveaux outils collaboratifs pour arriver à partager les avancements de projets ou des lignes de codes pour des projets informatiques. Tout ça était en général des discussions, des hypothèses, des velléités pour essayer de tester.
Et là en fait on n’a pas eu le choix, on les a mis en place et ça a plutôt marché. Donc on n’aura pas un retour en arrière à ce qu’était le monde d’avant, on va faire quelque chose d’un peu intermédiaire, on ne va pas non plus complétement rester dans un monde virtuel où on est tous à distance, ça je n’y crois pas. Je pense que « faire société » comme on dit, c’est vivre ensemble, développer une culture d’entreprise.
Bien sûr on peut développer des choses à distance mais il y a pleins de jobs qui exigent d’être ensemble, d’être en équipe, de collaborer. On voit aussi de la part des populations un peu plus jeunes que c’est une opportunité de se faire des amis, de faire des rencontres, de pouvoir développer son sentiment d’appartenance. Et tout ça, ça se passe au bureau. Aujourd’hui, on ne fera plus 100% de bureau parce que le télétravail a instauré une forme de souplesse qui a été intégrée dans les mœurs, il y a désormais une attente de la part des collaborateurs. Le Covid a mis en œuvre de façon drastique et forcée toutes ces nouvelles approches et toutes ces relations au travail. Et on va les exercer, les garder.
De façon plus générale, on peut se questionner sur la dimension travail même. Le Covid morcelant le travail, morcelant les expertises, on peut s’interroger sur le fait que le contrat de travail à durée indéterminée doit rester la seule et unique norme, ou est-ce qu’aujourd’hui on ne peut pas imaginer avoir plusieurs contrats et intervenir sur plusieurs boîtes ? Puisque finalement, devant son ordinateur on peut travailler le lundi pour une boîte, le mardi pour une autre etc. Tous ces éléments de flexibilité du travail qui était d’ailleurs souvent des sujets demandés auparavant il va falloir les mettre en œuvre et je pense que cette période va nous permettre de continuer à apprendre.
Comment ces interrogations/nouvelles aspirations peuvent-elles impacter la reprise d’activité ? Est-ce que vous sentez que pour Alchimie ces nouvelles aspirations représentent un risque ou un enjeu auquel il faut répondre plus spécifiquement ?
Je pense que le télétravail a développé une forme de productivité et de flexibilité, et c’est super il faut l’avoir ! Mais en même temps, il a développé l’isolement et a mis en exergue la production. Donc finalement pour produire, pour gagner en productivité le télétravail est intéressant parce qu’on ne perd pas de temps dans les transports. Par exemple, il permet de s’isoler sans être dérangé pour finir un dossier et d’éviter de perdre du temps sur le trajet avec la fatigue associée, j’ai récupéré de la productivité, du bien-être.
Cependant, les entreprises et les jobs ne se limitent pas uniquement à la production. On a également toute une démarche de réflexion, de création qui se fait en collaboratif, ce qui donne du sens au travail. On a également une démarche sociale, on apprend à connaître les autres et à faire une équipe, à créer un sentiment de solidarité, un sentiment d’appartenance etc. Et évidemment on a besoin d’être ensemble et ça n’a pas changé : si on ne voit pas les gens, on ne partage pas son énergie, on ne partage pas ses idées, on est limité.
Ces aspirations sont celles de l’entreprise mais sont aussi celles des salariés. Par exemple, dans le modèle map & match, ceux qui sont Créatifs ont besoin de voir d’autre personnes, ceux qui ont des bulles jaunes (famille des Régulateurs) c’est même vital de ne pas être isolé. En revanche, c’est sûr que celui qui n’a que de la bulle noire (famille des Réalisateurs) et puis une bulle d’Avaliseur, il peut rester chez lui et très bien s’en sortir. Mais on n’est pas tous avec ce profil et bien heureusement. Il y a donc pleins d’autres profils à base de jaune, de rouge, de vert qui ont besoin d’être ensemble. Grâce à eux, on peut donner du sens au travail.
Maintenant je pense qu’une fois que vous avez fini votre réflexion stratégique, votre planning stratégique, il faut l’exécuter, ce qui peut sans doute se faire de la maison mais le reste il faut le faire vivre au sein de l’entreprise.
Comment avez-vous pris en compte cette situation pour maintenir l’engagement et la motivation de vos équipes ? Que conseillez-vous de mettre en place pour maintenir le sens au travail ?
Je ne conseille rien du tout parce que bien malin celui qui connaît la formule magique qui fonctionne. Par ailleurs, je pense que la formule évolue parce qu’elle dépend aussi de l’ambiance dans la société. Là on sent qu’on sort de la crise du Covid mais est-ce que dans deux mois on en sera complètement sorti ou est-ce que ça repartira du fait d’un nouveau variant ?
Je pense qu’on est sur une formule plus dynamique des organisations, pas du tout statique. On est dans une démarche adaptative donc il faut rester très agile et très souple, très réactif, en s’adaptant aux conditions sanitaires et aux conditions sociales en général. Et puis après vient l’engagement, la motivation peut varier selon les salariés. Certains sont motivés par l’argent et d’autres (et c’est majoritairement le cas) c’est le sens au travail qui est prépondérant. Et donc c’est ce qu’il faut remettre en œuvre, ce qu’il faut nourrir, alimenter, rappeler, communiquer, faire vivre et ceux d’autant plus que la distanciation ne permet pas d’évidence dans la transmission.
Chez nous c’est important parce qu’en fait, peut être 20 à 30% des gens qui sont arrivés dans les 18 derniers mots n’ont en fait jamais vu les autres, n’ont jamais vu l’ambiance, n’ont jamais vu les pots informels qu’on fait dans nos locaux en fin de journée, n’ont jamais joué à la pétanque avec les autres par exemple. Et donc ils ont une idée de ce qu’est la boite mais ils n’ont pas développé l’idée commune que tout le monde s’en fait. C’est donc c’est sur ces formes d’unification de la perception de ce qu’est la boîte, de ce qu’elle a envie d’être et de la façon dont elle évolue qui a une action à mener pour pouvoir raccrocher les wagons.
Le mûrissement que nous apporte nos expériences peut disparaître avec la distance et ça peut être très dur pour les jeunes générations voire peut donner une sensation erronée de ce qu’est la vie en entreprise. Car oui on ne développe pas que des hard skills en entreprise mais aussi beaucoup de soft skills, encore plus pour des jobs de marketing, de communication, de gestion de projet notamment et ça on ne le développe pas tout seul en télétravail.
Il faut prendre tous ces éléments puis les convertir et faire en sorte au fur et à mesure que les différentes populations puissent se réintégrer et soient pleinement engagées. Maintenant c’est très difficile d’évaluer parce que les équipes sont moins présentes donc c’est difficile d’évaluer l’impact que ça produit et la progression individuelle, le mûrissement des équipes. Certains managers le voient, d’autres non, c’est le rôle des RH de le voir et avec la distance c’est plus difficile de transmettre, de faire savoir.
Le télétravail a donc totalement bouleversé l’organisation et le sens au travail. Pour redonner ce sens, c’est l’entreprise qui doit porter des valeurs et un impact fort. En faisant vivre une culture d’entreprise tournée vers l’engagement de la société et du collectif, chacun trouvera du sens et sera d’autant plus performant.